24 février 2012

Réaménagement de l’autoroute Bonaventure : Doter Montréal d’une entrée de ville prestigieuse

Par Joëlle Desjardins et Arthur Duhamel


Image : Groupe IBI-CHBA

Dans sa vision Montréal 2025, le projet Bonaventure constitue pour la ville un projet majeur dans le processus de réaménagement du Havre de Montréal. Le but recherché à travers la conversion de l’autoroute Bonaventure en une grande artère urbaine est de doter Montréal d’une entrée de ville prestigieuse grâce à un aménagement urbain de qualité et un développement intégré et durable (Montréal 2025, s.d).
Un projet postmoderne s’inscrivant dans un milieu formé par le modernisme
Depuis son inauguration en 1967, l’autoroute Bonaventure est un des axes majeurs permettant d’accéder au centre-ville de Montréal. Infrastructure lourde, symbole du modernisme et de la domination de l’automobile comme moyen de transport durant cette période d’urbanisme progressiste, sa construction a créé une coupure surfacique (Héran, 2000) importante dans la trame urbaine en séparant le faubourg des Récollets de Griffintown, et le centre des affaires du canal de Lachine. La reconversion de cette autoroute en milieu urbain, véritable espace perdu (Roger Trancik, 1986), fournit une opportunité exceptionnelle de réinvestissement du centre-ville en le rendant attractif et habitable
L’approche contextualiste, adoptée par le consortium dirigé par Cardinal Hardy, favorise cette reconnexion entre quartiers et fait émerger le « génie des lieux » (Montréal 2025, s.d). Toutefois, elle se caractérise par un postmodernisme nord-américain qui « réussit rarement à dépasser la tentation de faire du projet architectural une oeuvre d'art autonome, qui se démarque de son contexte comme une figure sur fond de ville » (Germain et Guay, 1985). En effet, sur les ilots libérés par le démantèlement du tablier autoroutier, l’architecture des bâtiments proposés se veut résolument contemporaine, caractéristique d’un centre-ville nord-américain, tournée vers l’avenir et donc peu en lien avec l’architecture présente actuellement de part et d’autre de l’autoroute.
Un design urbain multisensoriel et multiscalaire de qualité
Une entrée de ville implique la confrontation entre deux échelles : l’échelle de la ville et l’échelle humaine. Voulant assurer le lien entre formes urbaines et relations sociales, ce projet s’inscrit dans le mouvement américain prescrit à l’échelle internationale du nouvel urbanisme : le modèle néo-traditionnel (ou Traditionnal Neighborhood Development) (Dupuis, 2009).
Le paysage de la ville (townscape) est assuré par la vision stratégique appliquée au plan d’ensemble qui met en cohérence, par le biais des formes architecturales et urbaines, le projet avec le centre-ville existant. Cette mise en scène des grands repères montréalais, que sont la silhouette du mont Royal et des tours du centre-ville (Montréal 2025, s.d), représente parfaitement les valeurs locales à l’échelle métropolitaine (OCPM, 2009) et diffuse aussi une image de Montréal à l’international.
Les paysages de l’urbain (streetscapes) font ressortir une qualité esthétique des rues ceinturant les ilots centraux, créant une séquence paysagère digne d’une entrée de ville « marquante et signalétique » (OCPM, 2009). Sans renier l’automobile ou lui nuire mais plutôt en la disciplinant, l’aménagement à l’échelle du piéton est dicté par des critères de design urbain tirés du néo-empirisme nord-américain. La transparence entre le rez-de-chaussée des tours (espace privé) et la rue (espace public) (Jacobs, 1995), le rythme provoqué par des transitions claires dans les hauteurs des bâtiments (Trancik, 1986) ou encore la répartition d’espaces publics cohérents et formés par le bâti (Jacobs, 1995 ; Alexander, 1987) sont autant de concepts appliqués dans ce projet pour favoriser la perception de l’espace urbain en créant une animation du domaine public, notamment par l’intégration d’art public (œuvres, éclairages).
Ce « design multisensoriel » forme des « ambiances multisensorielles » (Ascher, 2010), ce qui renforce la mise en valeur et la qualité de ce futur espace urbain.

Bibliographie :
Alexander, C., Neis, H., Anninou, A., King, I. (1987). A new theory of urban design. New York : Oxford University Press.
Ascher, F. (2010). Les nouveaux principes de l’urbanisme. La Tour d’Aigues : Éditions de l’Aube.
Cardinal Hardy et al. (s.d). Réaménagement de l’autoroute Bonaventure. Repéré à : http://www.cardinal-hardy.ca/#/portfolio/bonaventure/
Choay, F. (1967). Sémiologie et urbanisme. Architecture d’aujourd’hui, n° 132.
Dupuis, B. (2009). Le movement du New Urbanism et le paysage urbain. La circulation d’une doctrine urbanistique. Articulo – Journal of Urban Research [Online], Special issue 2. Repéré à : http://articulo.revues.org/1133
Germain, Annick & Guay, Jean-Paul (1985). Urbanisme – Le défi post-moderne. Continuité, n° 29, p. 24-27. Repéré à : http://id.erudit.org/iderudit/18112ac
Héran, F. (2000). Monétarisation des effets de coupure, des effets sur l’affectation des espaces publics et des effets sur les paysages. Transports en milieu urbain: les effets externes négligés. Paris: La Documentation française : 117 p.
Jacobs, A. (1995). Great Sreets. Cambridge, MA: MIT. Repéré à: http://www.downtownalton.com/members/docs/greatstreets.pdf
Montréal 2025. (s.d). Quartier Bonaventure, le nouveau Montréal - Fiche synthèse. Repéré à : http://www.montreal2025.com/pdf/Fiches_synthses.pdf
Office de Consultation Publique de Montréal. (2009). Quartier Bonaventure – Le nouveau Montréal – Réaménagement de l’autoroute Bonaventure, phase 1 – Synthèse des études de l’avant-projet détaillé, mars 2009. Repéré à : http://www.ocpm.qc.ca/consultations-publiques/quartier-bonaventure
Trancik, R. (1986). Finding lost space : Theories of urban design. New York :Van Nostrand Reinhold Company.

1 commentaire:

  1. Votre article est très intéressant, autour d’un espace qui incarne d’importants défis pour le design urbain et, plus précisément, plusieurs enjeux de l’aménagement urbain montréalais. Je comprends que vous relevez dans le projet d’entrée de ville une tension entre une approche contextualiste (et jusqu’à un certain point historiciste) d’intervention et un contexte « moderniste ». Dans ce contexte, peut-on déplorer l’existence de « peu en liens avec l’architecture présente actuellement de part et d’autre de l’autoroute ». Cela dépend de ce que vous entendez par « lien ». C’est probablement une bonne chose de ne plus traiter un espace aussi central comme on le traite depuis les années 1960, n’est-ce pas ? Par ailleurs, contraste et différence n’engendrent pas nécessairement un manque d’unité et d’intégration. Le « peu de lien » est probablement trompeur : il peut y avoir, dans une opération de design urbain comme celle-ci, une importante influence sur la manière dont les espaces adjacents seront lus et réaménagés dans les prochaines décennies. Bref, c’est très intéressant.

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