13 mars 2011

La place d’Youville et le contextualisme américain



Crédit photo : Claude Cormier architectes paysagistes


Par Laurence Aubin-Steben et Caterina Peretti

«It’s time to build for people» (Venturi,  Brown et Izenour 1972)

C’est avec une approche néo-empirique que la place d’Youville, lieu historique important de la métropole, a été conçue entre 1999 et 2001. En effet, le Groupe Cardinal-Hardy et la firme Claude Cormier architectes paysagistes ont travaillé en collaboration selon une approche contextualiste. Ils se sont intéressés aux liens avec le passé, à l’importance de l’usager et à la mise en valeur du contexte.

Liens avec le passé
En opposition avec le modernisme qui niait complètement tout rapport au passé, le contextualisme cherche à reconsidérer les valeurs historiques tout en amenant une relecture contemporaine. La place d’Youville est l’exemple probant d’un projet cherchant à éviter les stratégies de commémoration du passé utilisées dans les années 1980. Les concepteurs jugeaient cette approche trop narrative et ont plutôt opté pour une interprétation et une relecture du patrimoine de manière contemporaine.1
La démarche de conception du projet témoigne d’une grande sensibilité à l’égard de la complexité historique du lieu et de son intégration dans un projet urbain. La place est conçue de manière à rappeler différents moments importants de l’histoire de la ville. Le trottoir central rappelle la présence de la petite rivière Saint-Pierre qui avait été canalisée. L’évolution des trottoirs montréalais est rappelée par l’utilisation de différents matériaux. De plus, l’espacement irrégulier entre les arbres résulte d’une intention de préserver les éléments existants sur le site, tel le sol riche en dépôts archéologiques.

Importance de l’usager
À  travers la trame organique du vieux Montréal, le projet se veut collecteur de piétons. La promenade se fait telle que Venturi le préconisait, par déambulation et dérives, sans parcours préétabli.
« C’est parce qu’elle ne cherche pas à tout s’approprier, à tout interpréter, à tout juger, que cette place est intéressante : elle laisse les gens et les choses être ce qu’elles sont, quoi qu’elles soient, ou quoi qu’elles eussent été»2
À la manière du contextualisme à l’Américaine, c’est l’usager qui donne sa raison d’être au lieu. L’emphase n’est donc pas mise sur ce qu’un lieu public peut avoir de spectaculaire, mais l’attention est plutôt ramenée au niveau du sol afin de conscientiser le promeneur à quoi il touche, à quoi il participe.3 C’est d’ailleurs pour cette raison que l’éclairage se trouve au niveau des genoux.

Mise en valeur du contexte
« His contextualist approch corrects this by treating streets and squares as room-like spaces and by celebrating the outdoor public nature of these spaces at a pedestrian scale paying homage to the consumer and the flâneur engaged in an ‘unprogrammed enjoyment of the city » 4
Le projet, à la fois contemporain et ancré dans la culture du lieu, traite les rues et places comme l’espace et célèbre la nature de l’espace publique. Tous les trottoirs diagonaux invitent l’usager à découvrir le contexte en permettant de traverser la place de part et d’autre.
La place est pensée de manière à mettre en valeur ce qui la circonscrit. Par les angles des trottoirs et l’éclairage, l’usager est amené naturellement vers les portes et les façades des bâtiments. Il y a un effort de raviver l’intérêt dans la relation entre l’espace bâti et l’espace ouvert. De plus, on peut reconnaitre les différents usages des bâtiments autour de la place par le choix de matériaux différents pour les trottoirs. Le bois représente les connections domestiques, le béton les corridors urbains et la pierre les institutions.


Bibliographie

1. Desrochers, Brigitte (2000). « Strates urbaines: Place d’Youville ». ARQ. no. 111, p.6
2-3. Site officiel du groupe Cardinal-Hardy
 [En ligne] : http://www.cardinal-hardy.ca/portfolio/youville/ (page consultée le 1 mars 2011).
4. Ellin, Nan. (1996). Postmodern urbanism. Cambridge, Mass.: Blackwell. P60
Cardinal Hardy, Claude Cormier (1999). « Place d’Youville ». Land forum. no. 7, p.72-75.
Desrochers, Brigitte (2000). « Strates urbaines: Place d’Youville ». ARQ. no. 111, p.5-7.
Site officiel de Claude Cormier
 [En ligne] : http://www.claudecormier.com/projet/place-youville-fr-/ (page consultée le 1 mars 2011).

L’esplanade de la Places des Arts



Crédit photo : Guillaume Delisle

Par Guillaume Delisle

Les années 60 à Montréal sont synonyme de bouleversements sociaux, urbanistiques et architecturaux. C’est dans ce contexte que de grands travaux de rénovation urbaines ont eu lieu, la ville industrielle du 19e siècle ne répondant plus ni aux ambitions de ses dirigeants ni aux besoins de sa population.
Jean Drapeau, alors maire de Montréal, désire doter sa ville de symboles témoignant du progrès technique, de la modernité ainsi que de l’internationalisation propre aux métropoles et aux civilisations du 20e siècle. Si le métro et les autoroutes sur pilotis symbolisent la maîtrise des avancées technologiques, le projet de construction de la Place des Arts (PDA) révèle les ambitions de rayonnement culturel du maire. Faisant partie d’une collection de projets d’envergure que Jean Drapeau qualifie de « poème de béton » (Illien, 1999), la PDA incarne habilement les ambitions et réalisations de l’ère des rénovations urbaines.
Au début des années 50, le secteur compris entre les rues de Bleury et Saint-Urbain fait l’objet d’études visant à « moderniser » son tissu urbain selon les principes fonctionnalistes et rationalistes. On y propose un plan d’aménagement nord-sud à caractère institutionnel à l’image de celui réalisé sur l’avenue McGill Collège dont la construction de la Place Ville-Marie donne le ton à l’ère des projets de composition urbaine à « échelle mégastructurelle » (Lortie, 2004).
Prétextant l’insalubrité résidentielle et la vétusté urbaine, la ville procède aux démolitions massives. Elle récupère ainsi l’îlot entre les rues Jeanne-Mance, Saint-Urbain, Sainte-Catherine et le boulevard de Maisonneuve pour y implanter et inaugurer en 1963 la grande salle de spectacle Wilfrid-Pelletier, capable d’accommoder des évènements de renommée internationale.
Véritable mégastructure, la PDA est aujourd’hui composée de quatre éléments architecturaux disposés sur une dalle de béton, soit la salle Wilfrid-Pelletier, le théâtre Maisonneuve, le Musée d’Art Contemporain ainsi que l’Adresse Symphonique de Montréal. Propre aux réalisations du courant moderne, la dalle de béton crée un effet de mise en scène grâce à la surélévation des éléments bâtis de la PDA disposant ceux-ci selon une logique monumentale qui trouve racine dans les compostions urbaines néoclassiques (Ellin, 1999). L’esplanade, espace extérieur résiduel résultant de cette surélévation, sert de lieu public et de contemplation urbaine.
L’expression physique de la PDA témoigne également des principes de composition élaborés lors des Congrès d’Architecture Moderne (CIAM) « […] tant elle est symbolique de l’ultime conquête à laquelle ils aspirent, celle du cœur de la ville […] » (Lortie, 2004; 101). La configuration sur dalle permet la ségrégation fonctionnelle des circulations piétonnes ainsi que véhiculaires tout en proposant un système de déplacement vertical reliant le métro faisant partie du réseau de transport en commun à l’esplanade en passant par une galerie commerciale souterraine.
Malheureusement, il semble que le délaissement et la dégradation du domaine public extérieur soient les seuls legs de la dalle de béton et la verticalité fonctionnelle moderniste. Le face-lift urbain que propose le projet du Quartier des Spectacles saura-t-il remédier aux maux résultant du progrès irréfléchi de l’ère des rénovations urbaines ?

BIBLIOGRAPHIE
BARBIERI, Olivo; COHEN, Jean-Louis; FOURNIER, Marcel; LORTIE, André; SORKIN, Michael. Les années 60 : Montréal voit grand. Centre Canadien d’Architecture, Montréal, 2004, 205 pages.
ILLIEN, Gildas. La Place des Arts et la révolution tranquille : les fonctions politiques d’un centre culturel. Éditions de l’IQRC, 1999, Sainte-Foy, Québec, 151 pages.
ELLIN, Nan. Postmodern Urbanism: revised edition. Princeton architectural press, New York, 1999, 392 pages.
BENEVOLO, Leonardo. Histoire de l’architecture moderne, tome 3: Les conflits et l’après-guerre. Traduit de l’italien par Vera et Jacques VICARI, Dunod, Paris, 1999, 310 pages.
Conseil du patrimoine de Montréal. 2008. Avis du Conseil du patrimoine de Montréal : Programme
particulier d’urbanisme Quartier des spectacles – Secteur Place des Arts. En ligne :

http://ville.montreal.qc.ca/pls/portal/docs/PAGE/CONSEIL_PATRIMOINE_MTL_FR/MEDIA/DO
CUMENTS/A08-VM-04.PDF (page consultée en février 2011)

Ville de Montréal. 2007. Programme particulier d’urbanisme : Quartier des spectacles, secteur
Place des Arts. En ligne :
http://ville.montreal.qc.ca/pls/portal/docs/PAGE/ARR_VM_FR/MEDIA/DOCUMENTS/PPU-QU
ARTIER-DES-SPECTACLES.PDF (page consultée en février 2011)
Spacing Montreal. En ligne: http://spacingmontreal.ca/ (pages consultées en février 2011)

Ville de Montréal. En ligne : http://ville.montreal.qc.ca/ (pages consultées en février 2011)

Le Technopôle Angus, à la mémoire des «Shops Angus»



Crédit photo : pchurch92 sur www.flickr.com

Par Pascal Miville et Sandy Legault-Leblanc

L'ascension

L'histoire du développement de cette cité industrielle est révélatrice du rôle majeur qu’elle a joué sur son milieu. Construites en 1904 pour la réparation et la fabrication de matériels ferroviaires, les Shops Angus furent stratégiquement localisées à la jonction de deux lignes de chemin de fer du réseau ferroviaire québécois (Nadeau, 2009, p.23). La Cité Angus devient le deuxième plus grand complexe industriel en Amérique du Nord. Le nombre d'employés s‘éleva à 12 000 ouvriers lors de la Seconde Guerre Mondiale (Dumesnil et Ouellet, 2002). Son implantation dans le sud-est de la ville de Montréal a rapidement engendré l'arrivée d'une population ouvrière. Les ateliers constituent donc un facteur significatif du développement de l'actuel arrondissement Rosemont– La Petite-Patrie.

Le déclin

À partir des années 1950, on compte de plus en plus sur le réseau routier dans le transport des marchandises et des passagers. Une dizaine d'années plus tard, ce sont les compagnies aéroportuaires qui offrent des déplacements rapides sur la scène internationale. L'évolution technologique des transports fait ainsi compétition au système ferroviaire en place. La chute des Shops Angus devient inévitable. Une première fermeture a lieu en 1970, le volet de transport des passagers cesse ses activités. Le ralentissement des activités se poursuit et mènera à la fermeture complète des ateliers en 1992 (Nadeau, 2009, p.184).

Angus aujourd'hui

Suite à la fermeture de 1970, un premier projet résidentiel et commercial fut proposé afin de répondre à des besoins en logements abordables. La communauté s'oppose à l'implantation du centre commercial dans le secteur, on assiste alors à une première mobilisation. La communauté gagne le pari et seulement le volet résidentiel est complété. Au début des années 1990, une seconde proposition est faite afin de développer le Locoshop. L'intention était de concevoir des condominiums, mais encore une fois la mobilisation des acteurs de la scène communautaire freine le projet. Ces derniers réclamaient de nouveaux emplois dans le quartier (Nadeau, 2009, p.10). C’est donc en partie grâce à la participation de la communauté que la première phase de construction du Technopôle Angus vue le jour à la fin des années 1990.

Les concepteurs du projet ont conservé des indices du passé. La restauration de l'enveloppe du Locoshop et la mise en évidence de vestiges lui appartenant constituent les éléments physiques préservés du bâtiment d’origine. Les concepteurs ont voulu commémorer la mémoire du lieu, faire valoir son identité culturelle et ses origines. D'autre part, la fonction industrielle a été maintenue avec la ferme intention de retrouver l'activité économique que les ateliers avaient instaurée à l'époque, toutefois, adaptée aux réalités contemporaines. Pour Michael Stratton (2000), la clé dans ce type de projet est de trouver le juste milieu entre la préservation et le changement. Il qualifie ainsi la conservation comme le désir de la communauté d'introduire un nouvel usage, et le besoin d'actualiser la structure et l'image du bâtiment. Ce juste milieu semble avoir été atteint dans le projet de restauration du Locoshop.

Comme on a pu le constater, le projet fait partie de deux courants spécifiques du design urbain, soit la participation communautaire et la préservation historique (Ellin, 1996). D'une part, chacune des étapes du projet Angus a été marquée par une forte mobilisation des "leaders" et acteurs du milieu incluant d'importants débats publics. Le sort et l’image du secteur ont donc été façonnés par ses occupants. Quant à la préservation historique, elle a fait du Locoshop Angus un symbole important du rôle de l'industrie dans le quartier.

Références

Ellin, N. (1996). Postmodern urbanism. New York : Princeton Architectural Press.

Nadeau, G. (2009). Angus: du grand capital à l’économie sociale. Montréal : Fides.

Stratton, M. (2000), Industriel Buildings: Conservation and preservation, New York, États-Unis : E and FN Spon,

Dumesnil, F., Ouellet, C. (2002). La réhabilitation des friches industrielles: un pas vers la ville viable?. Vertigo - la revue électronique en sciences de l’environnement, Volume 3 Numéro 2 | octobre 2002 . [En ligne] http://vertigo.revues.org/3812. Consulté le 26 février 2011.

Fulton, G. (2011). Conservation du patrimoine. [En ligne] http://www.thecanadianencyclopedia.com/index.cfm?PgNm=TCE&Params=f1ARTf0003726#SUBReadings. Consulté le 26 février 2011.

Technopôle Angus: parc urbain d'entreprise, (2007). [En ligne] http://www.technopoleangus.com/fr/historique/index.php .Consulté le 24 février 2011.

Les îlots Saint-Martin, un modernisme en mutation



Crédit photo :  Marie Meriaux et Matthieu Gimat

Par Marie Meriaux et Matthieu Gimat


La Petite Bourgogne face à la rénovation urbaine


Situés dans le quartier de la Petite Bourgogne, au sud du centre-ville, les îlots Saint-Martin furent le premier secteur de rénovation urbaine à Montréal. En 1965, en effet, les autorités de la ville souhaitent améliorer les « conditions physiques, sociales et économiques du milieu urbain existant » et confient pour ce faire la réalisation d’un nouvel ensemble de logements sociaux aux architectes Reeves, Alain et Ouellet, en 1967.
La mise en route de ce processus ne s’est pas fait sans heurt, ce qui souligne l’importance de la prise en compte des habitants dans les projets de rénovation urbaine. En effet, dès 1966, les résidents du quartier se rassemblent pour défendre leurs droits et critiquer le plan d’ensemble proposé par la municipalité. Certaines de leurs revendications, consistant notamment en une échelle de loyers novatrice, ont été prises en compte par la mairie.

Un projet original, entre modernisme et post-modernisme

Les îlots Saint-Martin apparaissent comme un projet correspondant à certaines des conceptions modernistes. Le projet consiste en la destruction des îlots anciens situés sur les deux bords de la rue Saint-Martin et en leur remplacement par un tissu urbain neuf. Il vise à la constitution d’un nouveau quartier d’habitation et respecte le principe moderniste selon lequel la forme suit la fonction, puisqu’il est constitué de petites conciergeries abritant plusieurs cellules d’habitation familiales régulières. Elles s’insèrent dans des bâtiments globalement peu ornementés et destinés dans leur totalité au logement social. Les îlots sont ainsi relativement uniformes.
Cet ensemble, de plus, est marqué par une restructuration de l’espace public, qui ne s’organise plus autour de la rue mais autour de l’intérieur des îlots. Ceux-ci sont aménagés de manière à y accueillir l’essentiel de la vie urbaine, alors que la rue est réservée à la circulation automobile. L’intérieur des îlots est marqué par une centralité paradoxale : les habitations sont ouvertes sur ces espaces, mais ils n’en sont pas moins difficilement accessibles et aménagés de telle sorte qu’ils soient difficilement appropriables. Les pelouses, par exemple, sont clôturées et une partie du projet est construite sur dalle. Ces cœurs d’îlots restent ainsi peu utilisés et n’encouragent pas l’extension des déplacements des habitants vers le reste du quartier.
La relative irrégularité de ces espaces, cependant, indique que le projet correspond, en fait, à un modernisme tardif. Les îlots Saint-Martin subissent en effet l’influence des premières idées post-modernes. Des conceptions néo-rationnalistes et contextualistes, ils tirent ainsi une attention à l’échelle humaine et à l’histoire du lieu dans lequel le projet se construit. Les architectes ont en effet choisi de conserver au sein même du projet certains bâtiments anciens, comme les bains publics ou des maisons victoriennes. Ils ont de plus repris sporadiquement certains détails architecturaux constitutifs du type montréalais, comme des escaliers extérieurs. Enfin, le projet respecte non seulement la volumétrie des bâtiments victoriens, mais aussi le plan de rue ancien, assurant ainsi une continuité entre le nouvel espace et ses abords.
Les îlots Saint-Martin illustrent donc une pensée de l’urbain en mutation. Leur conception tente de trouver une réponse aux différents problèmes que posent les conceptions modernistes. Si cette position plus sensible ne parvient pas à résoudre tous les dysfonctionnements, elle n’en illustre pas moins une continuité entre les idées modernes et post-modernes, qui s’attachent les unes comme les autres à l’amélioration des conditions de vie au cœur de la ville. 

1 mars 2011

La Place de l'Homme



Crédit photo : Montréal & ailleurs 2008


Par Geneviève Proteau et Nicolas Bernier

L’Homme de Calder est un stabile, c’est-à-dire une sculpture posée de façon stable sur le sol faisant opposition aux œuvres mobiles associées à l’artiste Alexander Calder. Cette œuvre tridimensionnelle en acier inoxydable a été commandée par l’International Nickel Company dans le cadre de l’Exposition Universelle de Montréal en 1967, puis léguée à la ville à la fin de l’Expo.
  
L’Homme de Calder est aujourd’hui situé sur le belvédère de l’île Sainte-Hélène face au Vieux-Port, au Vieux-Montréal, au centre-ville et au mont Royal. Cette place telle qu’on la connaît actuellement est prise d’assaut l’été par les fervents de musique électro lors des Piknic Électronik dominicaux. Elle a été aménagée en 1991 lors des travaux de mise en valeur du Parc des Îles qui avait été laissé à l’abandon depuis la fin de l’Expo 67. Le stabile fut ainsi déplacé de la rive-sud de l’île pour être implantée sur la rive-nord.

Le réaménagement de l’île Sainte-Hélène fut influencé par le « Townscape Movement », qui par la combinaison de références historiques (Expo 67) et autres éléments décoratifs se veut une façon de recréer un paysage significatif dans la ville tout en redonnant un sens et une identité aux espaces publics. Le mouvement reprend par ailleurs les idées des architectes de paysage tel que Frederick Law Olmsted, que l’on associe grandement au courant City Beautiful à la fin du 19e siècle. C’est entre autre ce dernier qui fut à l’origine de la conception du parc du mont Royal dans les années 1870. Le parc du mont Royal et le parc de l’île Sainte-Hélène furent de ces grands parcs qui, à la même époque, ont marqué le développement de Montréal en termes d’espaces publics et qui sont devenus par la suite des emblèmes pour la ville.

Le concept du réaménagement se veut une mise en valeur à la fois de l’aspect naturel et pittoresque du site tout en soulignant le contraste entre la nature et la ville comme Olmsted le projetait à l’époque de la conception du mont Royal. Ainsi, pour marquer ce contraste, le belvédère des îles, au même titre que celui du mont Royal, donne une vue saisissante sur le centre-ville. La relocalisation de l’Homme de Calder au centre de ce belvédère rehausse d’autant plus ces vues et contrastes offerts à l’observateur :

« Les formes métalliques agencées instaurent une structure qui définit les vides et les contre-pleins, faisant des arches et des enjambements un endroit qui invite à le traverser physiquement. Le positionnement du stabile fait en sorte, que ses longs jambages cadrent des vues intéressantes du site, comme celle du centre-ville ou du Dôme de Buckminster Fuller [Biosphère] » (Langevin, 2007 : 31).

Enfin, l’événement de l’Expo 67 fut une vitrine internationale sur Montréal qui engendra un développement et une reconnaissance allant au-delà des limites de l’exposition elle-même. Montréal avait alors une identité aux yeux du monde et l’aménagement de la Place de l’Homme comme témoin de l’événement passé rend hommage à cette époque marquante dans l’histoire de la ville. Cela s’apparente ainsi à la vision de l’espace public dans l’urbanisme post-moderne tel que décrit par Charles Moore : « To make a place is to make a domain that helps people know where they are and by extension who they are» (Ellin, 1996 : 47).

Références

Desjardins, Maude, sous la direction de Nicole Vallières(2000). Sous le ciel de la métropole : les parcs de Montréal [En ligne] www.mccord-museum.qc.ca/scripts/explore.php?Lang=2&tableid=11&tablename=theme&elementid=115__true&contentlong (consulté le 15 février 2011)
Ellin, Nan (1996). Postmodern Urbanism – Revised Edition (1999). Princeton Architectural Press. New York. 368p.
Langevin, Marie-Claude (2007) « Art public et conservation : déplacement et mise en valeur de sculptures contemporaines d’art public ». Mémoire de maîtrise, Montréal, Université du Québec à Montréal, 131p.
Laplante, Jean de (1990). Les parcs de Montréal, des origines à nos jours, Montréal, Éditions du Méridien, 256 p.
Marsan, Jean-Claude (1994). Montréal en évolution : historique du développement de l'architecture et de l'environnement urbain montréalais, Laval, Éditions du Méridien, 515 p.
Raynaud, Michel-Max et Wolff, Pauline (2009). Design urbain : approches théoriques. Volume 1, approches historique et conceptuelle.Montréal, Université de Montréal / Observatoire SITQ du développement urbain et immobilier.
Secrétariat général de la Ville de Montréal (1993). Plan directeur de mise en valeur et de développement du Parc des Iles, Montréal, 90 p.

La Maison des éclusiers: un exemple de démarche contextualiste



Crédit photo : Geneviève Charbonneau 2007

Par Pauline Butiaux et Geneviève Charbonneau

L’espace urbain que représentent la Maison des éclusiers et la place publique attenante ne peut être pleinement compris sans savoir qu’il fait partie intégrante du projet de réaménagement du Vieux-port de Montréal (1982-1993). Redonner à la population un accès au site, préserver la morphologie des installations encore présentes et inciter à la préservation et la mise en valeur des vestiges, telles sont les grandes lignes directrices qui émanent des consultations publiques menées par la société du Vieux-Port, de 1985 à 1986. En 1990, l’agence montréalaise Cardinal Hardy propose alors un plan directeur qui, en respectant les enjeux énoncés ci-dessus, offre une expérience urbaine ancrée dans une approche de contextualisme à l’européenne du design urbain.
Située à l’entrée du canal Lachine, dont la réouverture constitue l’intervention principale du secteur ouest du projet, la Maison des éclusiers s’inscrit parfaitement dans cette approche néo-empiriste de l’aménagement. Plutôt que d’être traitée à la manière d’un artéfact, ce qui aurait pu être perçu comme un objet affranchi, elle apparaît ici comme un point pivot entre le Vieux-Port, le parc du Canal Lachine et le reste de la ville. En effet, situé au bout de la rue McGill, face au Silo n°5 et au niveau de la première écluse, le petit pavillon tire parti de sa situation pour tisser des liens entre les forces en présence.
Selon les dessins du plan directeur, le nouveau pavillon s’inspire de la typomorphologie du bâtiment d’origine : un volume cubique ouvert sur le canal et parallèle à celui-ci, incluant une petite tour aujourd’hui cylindrique, mais autrefois de plan carré. Les références formelles évoquées par ce bâtiment concernent principalement le silo no.5 : la tour reprend la forme du silo, et le toit possède un versant qui vient accentuer les lignes verticales du monument industriel par l’utilisation de tôle ondulée. C’est une fois les bâtiments alignés sur un axe central, avec le silo en guise de toile de fond, que la relation qu’ils partagent devient flagrante. L’expérience visuelle est particulièrement appréciable rue McGill, coin de la Commune (Image).

Le traitement réservé aux matériaux, où la lourdeur du béton s’associe à la légèreté visuelle des structures d’acier, rend nécessairement un hommage aux prouesses technologiques de l’époque industrielle. Ces mêmes matériaux sont repris au niveau de la place publique, qui devient alors le prolongement du pavillon, facilitant ainsi son intégration au parcours urbain.

Aujourd’hui multifonctionnelle, intégrant buvette, café et bar, la Maison des éclusiers devient un pôle d’attraction redonnant échelle humaine à cet espace dominé par la présence monumentale de ces structures industrielles d’un autre temps. S’insérant dans un contexte historique et formel précis, elle réussit à créer des liens avec le présent par une interprétation libre et moderne de l’architecture vernaculaire habituellement associée à une maison d’ouvrier. Par sa large inscription dans le contexte historique, architectural et urbain qui l’entoure, le site de la Maison des éclusiers reflète la démarche néo-empiriste, voulue pour l’ensemble du projet de réaménagement du Vieux-port.

Références :

Desloges, Yvon, Alain Gelly. 2002. Le canal Lachine : du tumulte des flots à l’essor industriel urbain, 1860-1950. Ottawa : Parc Canada, 214, ill.

Rose, Peter, Cardinal Hardy et associés et Vieux-Port de Montréal. 1990. Vieux-port de Montréal : plan directeur d’aménagement. Montréal : Cardinal Hardy et associés, 101p. ill.

Société du Vieux-port de Montréal. 2011. « Patrimoine : Écluses 1 et 2 ». In Quais du Vieux-port de Montréal. En ligne. <http://www.quaisduvieuxport.com/patrimoine/ecluses-1-et-2.html>. Consulté le 15 février 2011.

Parc Éphémère "Friche et célèbre"


Crédit image : Sandra Laberge et Olivier Lapierre

Par Sandra Laberge et Olivier Lapierre

Redonner vie à un espace-témoin du modernisme

Le Pigeon Hole était à l’origine un stationnement étagé datant de l’après-guerre, érigé selon une logique héritée du fonctionnalisme ; il livra le Vieux-Montréal à la voiture. Aujourd’hui démoli, le site fait place à un terrain vacant inutilisé aux angles des rues Notre-Dame Ouest et St-Jean. D’ailleurs, l’expérience urbaine de la rue Notre-Dame ouest s’est passablement détériorée au fil des ans, suite à la coupe des arbres à ses abords et à la réfection de la Place-d’Armes qui a privé les résidents et visiteurs de lieux de socialisation, déjà rares dans ce secteur. Ainsi, la morosité de la rue Notre-Dame, entre autres occasionnée par ce terrain vacant, donna l’idée à un commerçant d’utiliser cet espace en vue d’y créer un parc éphémère durant l’été 2010.

Contribuer à l’expérience et à la qualité de vie du Vieux-Montréal

Ce projet s’inscrit dans un mouvement contemporain plus global de préoccupations sur la qualité et la quantité des espaces publics dans la ville (Ellin, 1995 : 46). De plus, comme le souligne Ellin, « il est temps d’agir en reconnaissant que l’espace entre les bâtiment est aussi important pour la vie du citadins que les bâtiments eux-mêmes »[1]. Cette réflexion s’inscrit en partie dans le mouvement du Townscape qui émergea dans le monde anglo-saxon au tournant des années 1950. Le parc éphémère s’inscrit dans cette lignée puisqu’il est né d’un désir de réhumaniser l’espace vacant dans la perspective de « reconstituer l’espace public » (Ibid : 47). L’ensemble des composantes de son aménagement a été pensé dans une visée de création de « place character » qui apporte « a sense of pleasure , security and identity » (Ibid).

Les éléments constitutifs de ce parc sont d’ordre divers et renvoient à certains attributs relevés par Gordon Cullen (1961 : 26) : une allée piétonne forme une diagonale traversant le quadrilatère, une arche agit comme point de repère central, une longue table de banquet et des bancs invitent le passant à prendre le temps d’une pause (Ibid :  21) un aménagement paysager minimaliste cadre la vue, un mur adjacent a aussi été peint pour des projections en plein air (Ibid : 155). Une programmation d’activités (ateliers, concerts-midi, soirées de projections, marché et banquet des récoltes) ajoute à l’expérience du parc Friche et Célèbre, le consacrant comme un espace de rassemblement au même titre qu’un square populaire (Ibid : 100).

Un projet citoyen, concerté et rassembleur

Cette occupation temporaire visant la réappropriation des lieux publics par ses citoyens n’est pas étrangère au discours et aux actions entreprises par les activistes urbains. Les racines de cette forme d’activisme sont diverses, mais la grande critique de Jane Jacobs avec « The death and life of great american cities » au tournant des années 1960, représente certainement le témoignage le plus éloquent de ces revendications politiques visant la réappropriation de la ville par ses citoyens. Le parc éphémère s’insère directement dans cette logique de réappropriation. D’autant plus qu’il fut un projet initié et géré par un commerçant, financé par le milieu, concerté avec les groupes du quartier, et réalisé par une équipe de designers bénévoles. Le parc a ainsi offert une réelle expérience de participation citoyenne, riche d’apprentissages, où le désir de célébrer la vie urbaine fut le moteur de l’action.

BIBLIOGRAPHIE
  
CULLEN, Gordon (1961). Townscape, New York.

ELLIN, Nan (1996). Postmodern urbanism, Princeton Architectural Press, New York.

JACOBS, Jane (1992). The death and life of the great american cities, Vintage Books Edition, New York.


[1] Traduction libre

Les jardins du CCA et la maison Shaughnessy

Crédit photo : Marie-Eve Dostie et Florian Wolf 2011

Par Marie-Eve Dostie et Florian Wolf

Le Centre Canadien d’Architecture (CCA) a été fondé en 1979 par Phyllis Lambert ; le nouveau bâtiment a été ouvert en 1989. Il encadre et incorpore la maison Shaughnessy, située dans le quartier des grands jardins, à l’ouest de l’arrondissement Ville-Marie à Montréal.

La maison Shaughnessy, construite en 1874, était une des dernières maisons de l’époque, dans le secteur, a ne pas avoir été détruite par l’élargissement de la rue Dorchester en boulevard (1969) et par l’ouverture de la Transcanadienne (1974). Cependant, après avoir été désignée site et monument historique en 1974, l’environnement original de la maison a continué à se dégrader avec la construction d’immeubles à proximité immédiate de la maison. Phyllis Lambert a participé aux premiers mouvements citoyens de protection du patrimoine bâti montréalais et, quelques mois après le classement du bâtiment, elle a procédé à l’achat de celui-ci afin d’en assurer la protection (Drouin, 2005).

À partir de 1985, le choix de ce site pour la construction du CCA est à la fois une réponse aux besoins d’agrandissement de l’institution et un moyen de préservation du site. La transformation de celui-ci en sa forme actuelle a été réalisée de 1985 à 1989 par Peter Rose pour le bâtiment et Melvin Charney pour le jardin en collaboration avec Phyllis Lambert comme cliente et architecte-consultante.

La conception du site est tout d’abord une réponse aux objectifs donnés au CCA, à savoir d’être à la fois un musée, une bibliothèque et un centre de recherche. L’autre objectif étant de conserver la maison Shaughnessy en rétablissant sa valeur de villa, la conception du site ne devait pas se limiter au bâtiment mais comme une relation entre l’intérieur (la maison) et l’extérieur (les jardins). Ainsi, le site se compose du bâtiment du CCA en lui-même et de ses jardins; ces deux éléments étant indissociables.

En réaction directe au développement moderniste de Montréal, l’aménagement du site occupé par le CCA est une combinaison de différents courants postmodernes. Si la nouvelle fonction et forme du site répondent à la volonté de « conserver ses éléments historiques sans en faire une antiquité inerte mais en les adaptant aux nouveaux usages demandés » (Relph, 1987, p.221), les exigences architecturales imposées par Phyllis Lambert concernant le bâtiment sont explicitement d’inspiration classique tandis que le jardin est construit sur un modèle similaire à la place Émilie Gamelin (conception par Melvin Charney). Ainsi, s’intégrant dans une logique de préservation historique, le site est conçu comme un dialogue entre le néo-classicisme de la partie au nord du boulevard et le mouvement des places-paysages montréalaises du jardin au sud.

Le néo-classicisme de la partie nord se caractérise par le fait qu’elle est conçue pour être à la fois intégrée dans son milieu et avoir une valeur intrinsèque. Le bâtiment doit donc répondre aux canons de l’architecture classique (commodité, solidité et beauté), tout en ayant un rôle de réparation du tissu urbain par la mise en valeur de l’architecture.

De l’autre côté du boulevard, on distingue clairement la trame narrative constituant cet espace. Le jardin fait appel à la mémoire du lieu, plaçant son centre de gravité sur une représentation grandeur nature de la maison Shaughnessy et en annonçant sa vocation nouvelle à travers des représentations archétypales de l’architecture montréalaise reposant sur des colonnes, éléments centraux du jardin classique (Richards, 1989).

L’ensemble bâtiment et jardin du CCA s’inscrit donc en opposition au développement moderniste du secteur dans lequel il est implanté. Il montre un dialogue entre plusieurs courants postmodernes et chacun des éléments de l’ensemble possède sa symbolique.

Sources
Centre Canadien d’Architecture. 2009. « A propos du CCA» In Centre Canadien d’Architecture. En ligne. <http://www.cca.qc.ca/fr/a-propos>. Consulté le 18 février 2011.
Drouin, Martin. 2005. Le combat du patrimoine à Montréal, 1973-2003. Coll. «Patrimoine urbain». Montréal : Presses de l’Université du Québec, 386p.
Dunton, Nancy et Helen Malkin. 2008. Guide de l’architecture contemporaine de Montréal. Montréal : Les Presses de l’Université de Montréal, 191p.
Ellin, Nan. 1996. Postmodern urbanism. Cambridge, Mass.: Blackwell, 348p.
Jonathan Cha. 2008. « La “ place paysage “ : le dernier temps  d’aménagement de la place publique à Montréal » In Le temps de l’espace public urbain : construction, transformation et utilisation, sous la dir. de Jébrak, Yona et Barbara Julien, p.87-110. Montréal : Éditions MultiMontdes.
Nadeau, Jessica. 2009. « Construire le CCA – “À l’époque, on détruisait toute la ville…” : Le travail de Rose et Charney a été mondialement reconnu». Le Devoir. En ligne. 25 avril 2009. <http://www.ledevoir.com/culture/247331/construire-le-cca-a-l-epoque-on-detruisait-toute-la-ville>. Consulté le 18 février 2011.
Richards, Larry. 1989. Centre canadien d'architecture/Canadian Centre for Architecture : building and gardens. Montréal : Centre canadien d'architecture, 164p.